: : INédits
&
repentirs
Roman #2 a connu un parcours chaotique. Mais lorsqu’un éditeur a bien voulu du texte, il a fallu le retravailler. On ne se rend pas bien compte lorsqu’on ne s’y est pas confronté, mais retravailler un texte, cela demande beaucoup de travail. Non seulement on réécrit certaines parties, mais on coupe des pans entiers du texte aussi.
Voici deux morceaux coupés. Le premier est court, il se situe au moment où Maxime se retrouve au bord de la piscine de l’hôtel; le second, c’est une scène entière, celle de la révélation de l’homosexualité de Maxime à Colette, sa mère. Information importante: le texte est à la première personne du singulier. Pourquoi? Parce que la première version du manuscrit était écrite au “je”. Le retravail m’a indiqué qu’il fallait que “je” devienne “il”. C’était plus percutant, cela changeait ma façon d’écrire, je préférais. Aujourd’hui je me demande encore si cela n’était pas une erreur…
Il revoit la piscine, la discothèque, la chambre, il entend les rires de la joyeuse bande d’ados, il se coule sous les paillottes fragiles en bord de mer. Il revoit Paul, ses cheveux bruns courts légèrement ondulés, son visage anguleux, son t-shirt blanc retroussé aux manches, il s’avance vers lui, ses lunettes de soleil empêchent de capter son regard, et son cœur bat fort. Et il revoit Colette, une frange blonde s’échappant d’un bob enfoncé sur la tête, installée sur son transat, une bière à la main, lui faisant de grands signes pour qu’il vienne l’embrasser.
A mon retour dans la presque ville, après ces trois semaines loin d’elle, je ne pouvais plus mentir, il fallait que je dise pourquoi j’étais parti à nouveau là-bas, pourquoi lui encore. Comme elle me voyait quelque peu métamorphosé, la tête ailleurs, Colette me demandait, toujours plus pressante : tu as rencontré des filles ? Tu les as baisées ? Tu en as plusieurs à la fois j’espère ? Questions ritournelles de cette femme d’une grosse quarantaine d’années, débordée par sa propre vie et qui apparemment n’avait qu’une seule idée en tête : que je baise. Oui, j’avais baisé, c’était acquis, et pas qu’un peu. Mais avec lui. Lui seul.
Alors, un matin du mois d’août, après mes trois semaines passées à Saly, j’en ai eu assez de devoir répondre aux questions déplacées. J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai sorti une photo qui avait été prise sur place, lors de la soirée de spectacle de la dernière semaine. Au Palm Beach, l’équipe d’animation proposait chaque semaine un spectacle avec tous les ados de l’hôtel, avides de reconnaissance. Etre sous les projecteurs, le temps d’une soirée. En trois semaines, j’avais assisté à trois spectacles. J’avais photographié les deux premiers, et j’avais participé au dernier. L’idée était simple : reprendre les grands tubes du musical Starmania, en playback bien entendu, mais avec des chorégraphies, des entrées sur scène, des jeux de lumière…
La configuration était parfaite pour créer des souvenirs indélébiles : il s’agissait, en quelques jours, de répéter et de monter un spectacle à l’abri des regards, dans la grande salle de réception de l’hôtel. Et puis, l’avant-dernier soir de la semaine, chaque ado se trouvait sur scène, star d’un soir, devant les parents ébahis. L’égo de tout le monde s’en trouvait flatté, et les photos, prises toute la soirée, étaient développées en un temps record. Nous pouvions les retrouver affichées dans le hall du Palm Beach le lendemain après le petit-déjeuner, libre à chacun d’en acheter, afin de pouvoir rentrer en France avec une preuve de sa notoriété.
A Bordeaux, le petit déjeuner venait de se terminer. Pour une fois je m’étais levé tôt, mais la température commençait à monter sous la véranda. Sur la grande table en marbre, au milieu des tasses de café, du beurre allégé et des petits pains briochés, j’ai posé la pochette dans laquelle se trouvaient les photos prises à Saly lors de la soirée spectacle. Un peu désœuvré, j’y avais participé, pensant que ces moments me rapprocheraient de Paul. J’ai sorti de la pochette le plus grand cliché, que j’avais acheté dans le hall de l’hôtel. J’y figurais, le visage maquillé d’un éclair noir zigzaguant du front jusqu’au menton. Mes cheveux longs étaient plaqués en arrière et me tombaient sur les épaules. J’arborais un sourire béat, au milieu d’autres personnes, des touristes et des animatrices. Et puis Paul était là, juste derrière moi, la main posée sur mon épaule, comme ça, délicatement, juste posée, pas appuyée. Seuls lui et moi savions que ce geste, en apparence anodin, traduisait une histoire bien moins anodine, un secret bien plus important qu’une simple camaraderie de circonstance. Nous étions amants, je ne voyais que ça sur cette photo, alors que ma mère, ce jour-là, s’échinait à chercher avec qui j’avais pu coucher. J’avoue qu’elle se livrait à un drôle de jeu. Je n’avais trouvé que cela pour enfin dire quelque chose de ma sexualité. Elle regardait la photo de loin, puis rapprochait certains visages de ses lunettes :
– Ah oui pas mal cette petite, c’est elle ?
– Elle ?
– Non plus.
– Ouais, un peu grosse, j’avais mal regardé.
Je ménageais mon suspense, c’était assez pathétique. Un coming-out à l’envers, chassez les intruses et trouvez le bon numéro. Je n’avais pas envie d’une scène qui commencerait par « maman, il faut que je te dise quelque chose… » D’abord parce que je n’étais obligé de rien, il ne « fallait » rien, et qu’ensuite ma mère aurait détesté ce genre de cérémonial un peu cliché, un peu lourdaud. Ayant désigné du doigt toutes les filles de l’image, elle s’était tournée vers moi :
– Attends, je comprends pas, Max, on en a loupé une ?
Elle avait allumé une cigarette et elle avait recommencé à désigner toutes les filles de la photo. Moi j’attendais, avec un peu d’appréhension. Comment allait-elle réagir ? J’attendais de voir si elle penserait d’elle-même que, peut-être, je n’avais pas couché avec une des filles mais avec le seul garçon de l’image.
– Bah non, Max, je vois pas… Je comprends pas.
Devant ses regards interloqués, j’avais avoué.
– Je crois que tu ne cherches pas au bon endroit. Il reste qui, sur cette photo ?
– Il reste Paul, avait déclaré ma mère.
Puis ses yeux s’étaient mis à briller :
– Mais attends… Ne me dis pas que… T’as baisé avec Paul ? Enfin, je veux dire, tu baises avec Paul ? C’est ça ?
– Oui, maman…
– Tu baises avec Paul ? Ah la vache ! Mais t’es… enfin… t’es homo, Max ?
Ma mère n’en revenait pas. La cigarette à la main, elle s’était assise et s’était resservie une tasse de café :
– Attends, faut m’expliquer un truc, là… Le jour où il est venu à notre table, tu te souviens, au Palm Beach, tu te souviens, oui ?
J’ai acquiescé. Evidemment, je m’en souvenais.
– Bon, donc tu savais que c’était pour toi ?
– J’étais pas certain, maman… Disons que je l’espérais, oui. J’espérais ne pas me tromper…
– Putain, t’aurais pu me le dire, Max !
– Non, maman, je ne pouvais pas te le dire. Je commençais tout juste à comprendre ce qui m’arrivait. Je n’en savais moi-même pas grand-chose, alors…
Là, je savais que je l’avais perdue. Elle ne comprenait rien à ce genre de considérations. Pour elle, je savais ou je ne savais pas, mais je ne pouvais pas ignorer que je savais. Moi-même je n’y comprenais rien. Et pourtant. Ne décelant pas chez elle de jugement ou de réaction nette, j’ai fini par la questionner. Un peu sur la pointe des pieds.
– Euh, ça te fait quoi, que j’aime les hommes, maman ?
Elle était déjà en train de s’affairer à ranger la table.
– Attends, je range le beurre, là, parce qu’avec la chaleur sous cette véranda, ça va fondre en deux-deux.
J’avais attendu qu’elle revienne de la cuisine.
– Oh, tu sais, j’en ai vu d’autres, hein. Que tu sois pédé, franchement, c’est pas ce qui me choque, hein ! Moi aussi j’aime les hommes, alors je te comprends ! Rien de meilleur qu’un bon coup de bite !
Sa réponse m’avait fait éclater de rire. Je relâchais la tension. Cette femme me surprenait souvent, jamais vraiment là où je l’attendais. Parfois très vulgaire et rentre-dedans, et parfois désarmante de bienveillance.
– Bon, je n’aurai pas de petits enfants… ça, ça me fait chier, mais sinon…
– Tu veux des petits enfants ? Toi ?
– Bah, tu es mon seul enfant, donc naturellement, ça ne peut venir que de toi, les petits-enfants…
– C’est pas ce que je te demande. Tu voudrais vraiment être grand-mère ?
– Bah oui, pourquoi pas…
– Et tu te ferais appeler comment ? Mamie ? Mémé ? Mamou ?
Elle avait fait la grimace, et agité sa main devant son visage, pour signifier d’arrêter.
– Non, t’as raison, en fait j’ai absolument pas envie qu’un chiard m’appelle mémé. Tiens, file-moi une clope.
– Je peux t’en prendre une ?
– Te gêne pas. Ca sera pas la première fois, n’est-ce pas ?
– Ah ! J’ai été grillé !
– Voilà, grillé, comme tu dis ! Bon, t’as une drôle de mère, franchement… J’ai réussi à voir que tu me taxais des clopes, mais pas que t’es pédé. C’est dingue, quand même.
Elle avait terminé sa phrase en levant les bras vers le plafond et en gonflant ses joues dans un bruit de bouche qui signifiait qu’elle n’en revenait pas. Mais au fond, elle s’en fichait. Je crois qu’elle était sincère. Elle était trop contente que je baise, peu importe qui. On avait ri en tirant sur nos Rothmans. Pas de drame, plutôt un moment qui nous rapprochait davantage. Mère et fils, certes, mais amis aussi. Parfois.
Elle m’avait ensuite posé des questions sur mon séjour, sur Paul, sur ma façon de vivre ma sexualité. Je fanfaronnais, avec ma photo et mes souvenirs du Sénégal, mais au fond de moi, je n’en menais pas large. Je savais. Je savais que cette histoire, à peine commencée, était déjà terminée.