Combien de fois ai-je entendu cette exclamation ? Combien de soirées de Noël ?
Mes grands-parents, assis dans leur salon en velours gris et bois verni ; au plafond, un abat-jour orangé à pampilles ; dans un coin de la pièce, un sapin synthétique, le même qu’on ressort tous les ans, le même qu’on fait la veille et qu’on défait le lendemain, les mêmes décos, placées quasiment à l’identique sur les branches en fil de fer entouré d’une guirlande verte en plastique découpé. Sapin de pacotille.
« Les voilà ! »
On éteint la télé, qui blablate en fond sonore sur un bêtisier revu.
Ma grand-mère se compose un visage souriant à l’idée d’accueillir sa bru. Juste avant d’apercevoir, par la fenêtre dont les rideaux ont été ouverts pour l’occasion, elle disait tout le bien qu’elle en pensait : une traînée, et nulle avec ses gosses. Et en plus elle a grossi, tu vas voir, elle est hideuse. Mais pourquoi mon fils est-il allé se dégoter ça ?
Sur le parking, on entend les portières qui claquent. Des pas sur le gravier. La sonnette sur laquelle se déchaîne ma cousine, 6 ans. Les voilà.
Mon grand-père, qui n’a pas desserré la mâchoire, se lève et s’adresse à ma grand-mère : bon maintenant, on passe une bonne soirée, d’accord ? C’est Noël, pas un foutu règlement de comptes. Tu entends?
Ambiance.
On distribuera les cadeaux avec l’apéro, saucisses knacki, chips-plastiques jaune pétant, quelques apéricubes.
A table, on évitera les sujets qui fâchent, on éloignera le plus possible la bru de la grand-mère, on fera boire le grand-père et on laissera le frère et la sœur tenter de profiter de l’unique occasion annuelle pour pouvoir se retrouver et se souvenir du bon temps. Ils ne feront pas allusion à l’étrangeté qu’ils ressentent maintenant en présence l’un de l’autre.
Moi j’essaierai de faire le con, pour voir mes cousines rigoler. C’est tout ce qui m’importe. Et pour faire diversion. Une auto-diversion : je n’ai pas envie d’être là.